QUÉBEC PRESSE — Le mercredi 13 avril 2016
Par MICHEL CLOUTIER, journaliste, écrivain et éditeur de Québec Presse
Amir Khadir (député de Québec solidaire) vient d’attaquer outrageusement Charest de front en disant qu’il »est le suspect numéro un des crimes du PLQ ». De son côté, Pierre-Karl Péladeau (chef du PQ), estime que l’ex-premier ministre Jean Charest est responsable d’éventuelles malversations qui pourraient avoir été commises dans le financement du Parti libéral.
La charge d’Amir Khadir ne semble pas gratuite. Sur les tribunes téléphoniques, tant à la radio qu’à la télé, de nombreux citoyens en colère ont interpellé et M. Charest et son parti en les identifiant à la corruption. »Ce que dit tout haut Amir Khadir, les gens le pensent tout bas! », s’est indigné un interlocuteur sur LCN (à l’émission de Denis Lévesque). Un autre homme s’est plutôt rangé du côté de M. Charest. Le voyant dépérir dans l’opinion et avant qu’il ne sombre trop dans les ténèbres, il qualifia l’ère Charest de tout à fait intègre. La bataille intestine des partis faisait rage.
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REVUE DE PRESSE — Chronique de Josée Legault, Journal de Montréal
La responsabilité de Jean Charest
Ce lundi, en mêlée de presse, l’ancien premier ministre du Québec, Jean Charest, défendait l’intégrité et l’honnêteté de son gouvernement avec une déclaration qui, de toute évidence, avait été soigneusement préparée à l’avance… Photo Le Journal de Québec, Simon Clark.
Mercredi, 13 avril 2016 11:10 MISE à JOUR Mercredi, 13 avril 2016 11:33
Sur la forme, la charge d’Amir Khadir frappe fort et dur
Hier, le député de Québec solidaire qualifiait Jean Charest de «suspect numéro un» quant aux stratagèmes de financement politique illégal et de patronage du temps où il dirigeait le PLQ et le gouvernement du Québec.
Selon M. Khadir, «le plus clair de cette période-là, c’est Jean Charest qui était à la commande de cette organisation. Alors, dire ça et le reste, ça veut dire que, s’il y a des pratiques frauduleuses, du trafic d’influence, des contrats gonflés, de la collusion, en définitive ça relève de celui qui avait les commandes de l’État.»
Et encore ceci :
«Je soupçonne qu’il a été à la commande de la machine qui a commis ces crimes. Je soupçonne que c’est lui qui décidait en dernier lieu que oui ou non on opérait comme ça. Je soupçonne donc que les choses qu’a faites Mme Normandeau et qui ont conduit l’UPAC à l’accuser en matière criminelle relèvent aussi de la responsabilité de M. Charest. (…) C’est sûr que dans la tête des gens, M. Charest est gravement accusé, c’est le premier suspect dans toutes ces affaires-là.»
Ayant prononcé ces paroles à l’extérieur du Salon bleu de l’Assemblée nationale, le député savait très bien qu’il ne jouissait plus de son immunité parlementaire qui le protège de toute poursuite.
D’où son «défi» lancé en même temps à M. Charest de le poursuivre s’il est persuadé que les paroles du député sont mensongères.
En d’autres termes, Amir Khadir place l’ancien premier ministre dans une situation inextricable dite de «double contrainte». Ou Jean Charest le poursuit et il ouvre ainsi la porte à un procès d’où sortirait une brochette de squelettes du placard de son gouvernement et du PLQ. Ou il ne le poursuit pas et il laisse les gens conclure eux-mêmes aux véritables raisons derrière son refus de défendre sa propre réputation en cour.
D’une manière ou d’une autre, Jean Charest en sort écorché sur la place publique.
Pour le moment, l’ancien premier ministre refuse d’ailleurs de répondre directement à la salve. Son porte-parole s’en est chargé en déclarant ceci : «Nous prenons bonne note de la déclaration de M. Khadir et agirons en temps et lieu. (…) De toute évidence, M. Khadir souffre d’une obsession à l’endroit de M. Charest, ses propos sont totalement gratuits.»
La sortie d’Amir Khadir embarrasse toutefois le premier ministre actuel bien plus encore.
Coincé entre l’«affaire» Hamad aux relents d’un possible trafic d’influence et l’arrestation de deux ex-ministres libéraux par l’UPAC, Philippe Couillard est incapable de se défaire des vieux démons de l’ère Charest. D’autant plus que jusqu’en 2008, il en était lui-même un des ministres vedettes. Sans compter la brochette de ses propres ministres qui, eux aussi, sont issus directement du régime Charest.
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La vraie question
Sur le fond des choses, la sortie d’Amir Khadir pose néanmoins une vraie question. Une question tout à fait légitime en démocratie, voire même incontournable.
Ou, dit autrement, lorsqu’un gouvernement a croulé sous des soupçons de malversation au point de devoir lui-même mettre sur pied une commission d’enquête et une unité policière anticorruption, qui en est l’ultime responsable ?
Jean Charest n’étant pas accusé de quoi que ce soit, on parle bien évidemment ici en termes de responsabilité politique. Pour ce qui est de l’imputabilité, sa défaite électorale de 2012 aura été sa principale sanction.
Peut-on considérer que le patron lui-même du gouvernement et de son parti est le premier «responsable» devant la population lorsque l’éthique fout le camp sous sa gouverne?
Cette question, plusieurs la posaient aussi à l’époque du scandale des commandites. Comment se pouvait-il, se demandait-on avec raison, que le grand «patron» du gouvernement fédéral et du PLC – Jean Chrétien -, n’ait rien su ni vu de ce qui se passait pourtant sous ses propres yeux ?
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Théâtre de l’absurde
De retour au Québec.
Dans tout ce dossier, la question de la responsabilité se pose d’autant plus que les citoyens assistent en ce moment à un véritable théâtre de l’absurde. Comment ne pas y perdre son latin ?
En effet, d’un côté, l’ex-premier ministre libéral Jean Charest jure que son gouvernement était «honnête et intègre». De l’autre, en novembre dernier, la commission Charbonneau faisait 60 recommandations pour contribuer à éliminer les stratagèmes de corruption, collusion et financement politique illégal qu’elle a elle-même documentés aux paliers municipal et provincial.
D’un côté, selon Philippe Couillard, sous sa direction, le PLQ serait devenu un parti «exemplaire» et «irréprochable» sur le plan de l’éthique. Ce qui, à sa face même, laisse entendre que tel n’était pas le cas sous Jean Charest.
De l’autre côté, le même Philippe Couillard, piégé par l’«affaire» Hamad et l’arrestation de deux ex-ministre libéraux par l’UPAC, jure en même temps que son gouvernement «étudie» les recommandations de la commission Charbonneau. Or, pourquoi plancher sur ces recommandations si la maison du gouvernement et du PLQ est maintenant, selon lui, d’une propreté irréprochable?
Le tout, tant qu’à nager en pleine contradiction, après qu’en novembre dernier, à la sortie du rapport final de la commission Charbonneau, le même premier ministre se soit caché derrière la fausse vertu de la dissidence pitoyable de Renaud Lachance pour nier qu’il y ait eu le moindre lien, direct ou indirect, entre le financement du PLQ et l’octroi de contrats publics sous Jean Charest. Ce lundi, Jean Charest faisait d’ailleurs la même chose…
Donc, si on résume la valse de contradictions à laquelle les Québécois assistent fort probablement incrédules :
– Selon Jean Charest, son gouvernement et le PLQ étaient immaculés sur le plan éthique.
– Selon Philippe Couillard, le gouvernement et le PLQ sont devenus immaculés sous sa direction – ce qui laisse entendre qu’ils ne l’étaient pas sous son prédécesseur.
– Selon Jean Charest et Philippe Couillard, la dissidence de Renaud Lachance lave le gouvernement Charest du moindre soupçon de malversation.
– Ce qui n’empêche pas Philippe Couillard, même s’il traîne de la patte pour le faire, de s’engager en même temps à «étudier» les recommandations de la commission Charbonneau.
Traduction : le premier ministre s’engage à régler des manquements graves en matière d’éthique et d’intégrité qui, selon son propre prédécesseur et son ancien chef, n’auraient jamais vraiment existé.
De quoi attraper le torticolis… Et après, certains se scandaliseront de la sortie d’Amir Khadir.
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En addendum: les fameuses recommandations…
Au moment où un comité de citoyens vient d’être créé pour faire lui-même le suivi de l’application, ou non, des recommandations de la commission Charbonneau – ce qui, en soi, en dit long sur l’absence de confiance envers le gouvernement actuel pour le faire lui-même -, vous trouverez ici le tome 3 du rapport final de la commission. (Pour ses recommandations, vous les trouverez à partir de la page 91.)
Également, vous trouverez ici le résumé des recommandations principales.
Et ici, vous trouverez les 60 recommandations en version abrégée.
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