———–Revue de presse———
Célébrer en français, ce n’est pas se «refermer»
Depuis une décennie, chaque année ou presque, il y a quelqu’un pour déplorer publiquement qu’on ne chante pas en anglais au spectacle de la fête nationale du Québec.
Cette semaine, c’est Hubert Lenoir, talentueux jeune chanteur, prix Félix Leclerc 2018, qui s’est « risqué » à le dire, à Radio-Canada.
C’est son droit. Il y a bien sûr de grands artistes québécois d’expression anglaise. Leonard Cohen au premier chef, lequel, soulignons-le, a été amplement célébré, honoré, avant et depuis son décès.
Mais pourquoi donc ce serait céder à une pulsion de « fermeture », cette journée-là, que de célébrer d’abord et avant tout — voire exclusivement — la langue officielle du Québec, le français ?
La « fermeture » : c’est précisément le reproche qu’a formulé Lenoir.
À ses yeux, la fête nationale « devrait être un moment pour être beaucoup plus ouverts, beaucoup plus inclusifs sur tout ; autant les générations, la jeunesse, les cultures, le monde aussi. Ça ne devrait pas être une occasion pour se refermer… un peu… sur son petit Québec. »
L’idéologie de l’ouverture
Je n’en veux pas à M. Lenoir pour avoir dit ça. J’en veux à l’idéologie qui parle à travers lui : appelons-la l’« ouverturisme ».
Ah l’« ouverture », c’est vraiment devenu la valeur cardinale chez nous. On l’enseigne aux enfants dès la petite école.
Croyez-moi, je trouve ça formidable : surtout si cela veut dire accepter l’« Autre », chérir la diversité, lutter contre le racisme, contre les discriminations, etc.
G. K. Chesterton constatait ceci : « Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles. » On dirait que c’est ce qui est arrivé à certaines idées issues de la pensée antiraciste ; et plus précisément à la sacro-sainte « ouverture ».
Évidemment, il faut dénoncer tout repli identitaire. Si notre fête nationale exaltait excessivement une identité québécoise pure ; si on y célébrait uniquement, par exemple, les descendants des 60 000 colons français catholiques conquis en 1763, il faudrait réagir.
Même le français devient suspect
Or, depuis longtemps au Québec, la Saint-Jean n’est aucunement cela. On y fait constamment l’éloge de la différence, du métissage.
Évidemment, on agite le drapeau québécois et on célèbre le français, langue de convergence du creuset québécois. Mais voilà qu’aujourd’hui, l’idéologie de l’ouverture commence à trouver cela suspect, y voit des réflexes de repli.
Elle réclame donc, comme le fait Hubert Lenoir, toujours plus de « diversité ». Bref à la Saint-Jean, il faudrait célébrer « les cultures, le monde aussi ». Pour l’idéologie de l’ouverture, au fond, toute fête nationale devrait être abolie. Il ne devrait y avoir de célébrations qu’« internationales ». L’ONU ou rien.
Aussi, pour l’ouverturisme, il serait urgent de faire une grande place, lors de la fête nationale du Québec, à une pauvre langue méprisée, minoritaire et peut-être même en voie de disparition… l’anglais.
J’ironise, évidemment. Car tous les jours, partout, dans nos ordinateurs, nos téléphones, dans nos concerts de fin d’année scolaire, dans nos festivals, dans nos restaurants, etc., ça ne chante à peu près plus qu’en anglais.
Lorsqu’on ose dire qu’une fois par année, on doit réserver toute la place au français, langue minoritaire et précaire en Amérique, on se fait répondre qu’on veut se « refermer sur son petit Québec » !
Respectueusement, je réponds non.
Car le précaire, la minorité, la « diversité », l’« Autre », en ce continent, c’est le français et la nation distincte qu’elle fonde chez nous. Et c’est justement ce qu’on célèbre à la Saint-Jean. Une journée par année. Une seule !
Réclamer autre chose, en se donnant des airs de rebelle comme le fait M. Lenoir, c’est, au nom de la diversité, de l’ouverture, nuire à la diversité et favoriser un conformisme culturel.
NOTRE GRANDE AVENTURE
Par MATHIEU BOCK-COTÉ, sociologue, auteur, chroniqueur et blogueur au Journal de Montréal.
Demain, (AUJOURD’HUI, 24 JUIN) on célébrera la Saint-Jean, ou si on préfère, la fête nationale.
Histoire
Le peuple québécois en profite alors pour se rappeler qu’il est de langue et de culture françaises. Il se rappelle même fièrement son histoire, une fascinante aventure qui l’a mené de la Nouvelle-France au Québec moderne.
Et il y a de vrais motifs de fierté. Que nous existions encore comme peuple est le plus important, alors que l’histoire aurait pu nous broyer et nous condamner à devenir un résidu folklorique attendrissant, mais insignifiant, comme les Cajuns en Louisiane.
Nous sommes même passés à deux doigts de faire l’indépendance. Nous pourrions la faire demain matin, si nous le voulions. Nous en avons les moyens. Mais nous n’avons plus la tête à ça, comme si notre existence nous lassait. Ce ne serait pourtant pas si mal, un pays français en Amérique du Nord.
La culture québécoise exprime son génie par la chanson et demain, à la radio, on entendra des classiques du temps des grands, comme Vigneault, Leclerc, Charlebois, Séguin, Piché, Rivard et compagnie. Mais n’en prenons pas l’habitude : le lendemain, on retournera aux platitudes commerciales anglophones habituelles.
Notre peuple est en carence de fierté depuis un bon moment déjà. Auparavant, il cherchait à exprimer sa différence. Maintenant, il a la tentation de l’estomper, comme s’il la traînait comme un fardeau à l’heure de la mondialisation.
C’est peut-être pour cela qu’un artiste comme Hubert Lenoir se désole qu’à la Saint-Jean, on ne chante pas aussi en anglais. Il faut lui répondre que le reste de l’année appartient déjà à l’anglais et que lors de notre fête nationale, nous sommes en droit de célébrer ce que nous avons en propre.
Que célébrerons-nous demain ? Notre admirable résistance comme peuple en Amérique. Notre entêtement à ne pas disparaître. Un jour, nous ajouterons à la Saint-Jean la fête de l’indépendance.
Une fête pas comme les autres
Le 24 juin me précipite dans la nostalgie pour l’enfance et pour l’innocence que représentait le tableau vivant du petit Saint-Jean-Baptiste accompagné de son mouton, le moment fort du défilé d’avant 1964, quand les deux frisés ont été congédiés.
La fête, version actuelle, confirme par contre mon allergie aux mers de drapeaux, aux discours patriotiques, au nationalisme décérébré de ceux qui crient encore ‘vive le Québec libre’ et à toutes ces manifestations d’amour pour… pour quoi au juste ?
Et puis, qu’avons-nous fait des Canadiens-français, dont la Saint-Jean était aussi la fête et à qui nous avons tourné le dos ?
Difficile de trouver des réponses dans nos manières de célébrer.
Party échevelé
Le 23, les Québécois sortent leurs caisses du symbole brassicole des États-Unis qu’est la Budweiser ou mettent au frais quelques bouteilles de sauvignon blanc néo-zélandais Kim Crawford, les deux plus gros vendeurs au Québec. Pas une bière de micro-brasserie locale ou un blanc québécois.
Les plus vieux qui fêtent chez eux vont ressortir leurs records de Beau Dommage ou de Gilles Vigneault et les quelques ‘jeunes’ que la Fête nationale inspire écouteront du rap, du Hubert Lenoir ou peut-être du gros rock sale allemand. Au Québec, nous aimons notre vin sucré et notre musique métallique. Tant que ce n’est pas l’inverse…
Quand j’étais petite, dans Hochelaga-Maisonneuve, les voisins organisaient une fête de quartier. Chaque année, l’un d’entre eux sortait son ‘kit de drums’, sur lequel il tapochait toute la soirée au son des Led Zeppelin, Grand Funk Railroad ou Black Sabbath, enfilant Labbatt 50 après Labbatt 50.
Il gardait In-a-gadda-da-vida pour la fin mais il était tellement saoûl à ce moment qu’il fallait être aussi bourré que lui pour reconnaitre sa version de l’opus des Papillons de fer de 1968.
Personne ne criait ‘en français’ et le Québec n’a pas viré anglo pour autant mais les quelques anglais de la rue Jeanne d’Arc restaient chez eux.
Avec le vieux défilé, ce party de ruelle est mon meilleur souvenir de la fête. Suivi de la Saint-Jean sur l’acide dans le Vieux-Montréal dont je ne suis pas certaine de bien me rappeler.
La fête de quoi ?
Nous fêtons le 24 juin depuis 1874. Mais que fêtons-nous au juste ?
Le territoire du Québec ? Les gens du Québec ? Les succès des Québécois ? Leur survivance ? Le français que l’on massacre sans culpabilité ? Nos traditions, notre histoire, quand on la connait ? Aimer sa patrie, qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui ? Nous nous disons fiers d’être Québécois mais comment peut-on être fiers de quelque chose qu’on n’a pas choisi ?
Et si les bonnes questions étaient ‘le Québec peut-il être fier de moi ? Est-ce que je mérite le Québec ? Peut-il être fier de la personne que je suis devenue, grâce à ses largesses ?
Nous lui tendons souvent la main mais pensons-nous aussi à redonner ?
C’est la pensée qui m’occupe en ce 24 juin.
Bonne Saint-Jean, bonne Fête nationale chers lecteurs.
——————————————————————————-
La bilinguisation rampante
Depuis que le gouvernement Charest a autorisé le cégep Saint-Laurent et son voisin anglophone, le collège Vanier, à mettre leurs ressources en commun pour offrir des programmes bilingues, comme il en existait déjà dans plusieurs établissements privés, cette pratique n’a cessé de s’étendre.
Le phénomène ne se limite pas à Montréal, où on peut toujours faire valoir qu’il vaut mieux voir les allophones poursuivre leurs études dans les deux langues plutôt que de les voir le faire uniquement en anglais, mais également à Québec, dont la proportion d’anglophones est d’à peine 1 % et où le problème d’intégration des immigrants ne se pose pas.
Dans un texte paru d’abord dans L’Action nationale et republié mardi dans Le Devoir, un professeur de français au collège Bois-de-Boulogne, Nicolas Bourdon, déplorait que les cégeps ne soient soumis à aucune norme nationale en matière de langue d’enseignement et qu’ils se prévalent de leur autonomie pour s’arracher les étudiants en rivalisant de bilinguisme.
Le débat sur l’autonomie des cégeps n’est pas nouveau. En 2004, bien avant que se pose la question de la langue, une coalition formée de syndicats d’enseignants, d’associations de parents et de la Fédération étudiante collégiale (FECQ) s’était déjà opposée à une décentralisation qui risquait de transformer les divers établissements du réseau collégial « en petits ghettos repliés sur eux-mêmes » sans perspective globale.
Il est sans doute regrettable de voir les cégeps profiter de leur marge de manoeuvre pour se lancer dans la « course à l’anglicisation » que dénonce M. Bourdon, mais cette dérive n’est possible qu’avec l’aval du gouvernement, qui n’impose pas non plus de limite à la croissance des cégeps anglais, dont la majorité des étudiants ne sont pas des anglophones, alors que la clientèle des cégeps français ne cesse de diminuer.
Personne ne se surprendra qu’un gouvernement libéral autorise, voire encourage, la création de diplômes d’études collégiales (DEC) bilingues. Durant son bref mandat, le gouvernement de Pauline Marois n’avait cependant rien fait pour l’empêcher.Il est vrai que le programme du PQ prévoyait à l’époque d’étendre les dispositions de la loi 101 au cégep, ce qui aurait réglé la question. On ne saura jamais si Mme Marois aurait osé le faire si elle avait disposé d’une majorité à l’Assemblée nationale.
D’entrée de jeu, Jean-François Lisée a estimé que le coût politique d’une telle mesure serait trop élevé. Plutôt que d’interdire aux francophones et aux allophones l’accès au cégep anglais, le nouveau programme du PQ propose plutôt d’augmenter l’enseignement de l’anglais dans les cégeps français, autrement dit de les rendre moins français, dans l’espoir que cela les satisfasse. Les DEC bilingues procèdent du même esprit.
Il ne faut pas compter sur un gouvernement Legault pour y faire obstacle. Son « nouveau projet pour les nationalistes du Québec » propose bien d’accroître l’utilisation du français sur le marché du travail, mais la CAQ estime néanmoins que les DEC bilingues répondent aux besoins des entreprises. Il est vrai qu’elle n’est pas à une contradiction près. La société québécoise non plus.
À partir du moment où les directions d’établissement et le gouvernement s’entendent pour favoriser la bilinguisation des cégeps, l’opposition ne peut venir que de la société civile, dont il ne faut jamais sous-estimer le poids.Il y a un an, Le Devoir avait révélé que le cégep Bois-de-Boulogne et le collège Dawson s’étaient entendus en catimini pour offrir conjointement un DEC bilingue en sciences de la nature. De nombreux enseignants et parents d’étudiants, furieux d’avoir été tenus dans l’ignorance de ce projet, ont manifesté leur mécontentement et forcé son abandon.
Il est évident que la mondialisation et la généralisation de l’utilisation de l’anglais qui en résulte posent un défi pour de nombreuses langues sur la planète.
La plupart d’entre elles peuvent toutefois compter sur la protection d’un État qui dispose des pouvoirs nécessaires. Voisin immédiat du géant américain, le Québec doit composer au surplus avec le bilinguisme dont le gouvernement fédéral se fait l’ardent promoteur.
Dans l’esprit de ses concepteurs, la Charte de la langue française était simplement le prélude à la souveraineté, qui allait conférer à l’État québécois le poids qui assurerait la pérennité du français. De toute évidence, ce n’est pas pour demain.
À d’autres périodes de son histoire, la société québécoise a su trouver en elle-même les ressources pour faire face à l’adversité dans des conditions très difficiles, sans que ses gouvernants soient nécessairement à la hauteur. Le défi demeure le même. La question est de savoir si on veut toujours le relever.
Soyez le premier à commenter sur "LE QUÉBEC: LA FÊTE NATIONALE RAPPELLE LES 484 ANS DE SA FONDATION"