Le scandale Panama Papers épingle des dirigeants politiques (en haut) et des sportifs (en bas). Mais aussi des entreprises et des criminels…
L’argent du crime et celui de la fraude se recyclent au Panama… une des places fortes du secret bancaire sur la planète
Par MICHEL CLOUTIER
QUÉBEC PRESSE — Montréal, le mardi 5 avril 2016
Des dirigeants politiques de divers pays, des célébrités de premier plan, des criminels et des dizaines de milliardaires figurent parmi les personnalités mentionnées dans les millions de documents.
Également, des sportifs de haut niveau en passant par des milliers d’entreprises à travers le monde, pratiquent secrètement l’évasion fiscale à Panama (notamment). Un rendez-vous mafieux. L’affaire éclate sous d’énormes dossiers mis à jour grâce à une incroyable fuite journalistique.
Même le Québec n’y échappe pas. Radio Canada vient de rapporter qu’une avocate, Hélène Mathieu de Joliette, basée à Dubaï, a travaillé avec Mossack Fonseca pour aider 900 entreprises à s’incorporer dans des paradis fiscaux.

Le premier à tomber: le premier ministre de l’Islande, David Gunnlaugsson vient de démissionner de son poste sous la pression sociale.
REVUE DE PRESSE de l’Agence France-Presse et la Presse associée:
La plus importante fuite de données de l’histoire du journalisme a fait trembler la planète entière dimanche. Les « Panama Papers », qui ouvrent une brèche 1500 fois plus imposante que celle créée par WikiLeaks, exposent plus que jamais l’usage des paradis fiscaux par les plus riches de ce monde. Et il ne s’agit que de la « pointe de l’iceberg », notent les experts consultés par Le Devoir, quotidien intellectuel de Montréal.
Les documents qui attirent aujourd’hui l’attention ont d’abord été obtenus par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a ensuite réparti le travail d’exploitation entre les publications membres.
Pendant près d’un an, plus de 370 journalistes oeuvrant au sein d’une centaine de médias différents ont épluché quelque 11,5 millions de documents, soit 2600 gigaoctets de données secrètes. C’est une source anonyme qui a transmis ces données au quotidien établi à Munich par communication chiffrée, sans exiger de contrepartie financière et moyennant le respect de certaines mesures de sécurité qui n’ont pas été dévoilées, a raconté Bastian Obermayer, un des journalistes de la publication allemande.
Parmi les médias partenaires connus, on compte Le Monde, la BBC et The Guardian. Au Canada, seuls CBC/Radio-Canada et le Toronto Star ont eu accès aux données.
Celles-ci concernent les documents internes de Mossack Fonseca, un cabinet d’avocats établi au Panama. Fondée par l’Allemand Jürgen Mossack, la firme a des bureaux un peu partout sur la planète et figure parmi les plus importants créateurs de sociétés fictives au monde, selon le Süddeutsche Zeitung.
L’ICIJ a précisé que les documents comprenaient des courriels, des feuilles de calculs financiers, des passeports et des dossiers d’entreprises montrant comment de richissimes clients ont eu recours à des banques, à des cabinets d’avocats et à des sociétés fictives pour dissimuler leurs avoirs. L’organisme a par ailleurs annoncé qu’il publierait la liste complète des entreprises et des particuliers visés au début du mois prochain.
Personnalités connues
Le portrait est renversant : plus de 214 000 sociétés étrangères ont été créées ou administrées par Mossack Fonseca entre 1977, année de fondation du cabinet, et 2015. Le tout dans 21 paradis fiscaux différents, au profit de clients provenant de quelque 200 pays et territoires.
Ces clients proviennent des quatre coins de la planète et sont dans certains cas bien connus : des proches du président chinois, Xi Jinping, des personnes provenant du cercle rapproché du président russe, Vladimir Poutine, le premier ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson, et les étoiles du soccer international d’hier et d’aujourd’hui Michel Platini et Lionel Messi apparaissent notamment dans les documents.
Selon la compilation effectuée par Le Monde, 12 chefs d’État — dont 6 en activité — et 128 dirigeants politiques ou hauts fonctionnaires ont eu recours aux sociétés décrites dans les « Panama Papers ». Parmi les personnes visées, on compte 29 des 500 personnes les plus riches du monde.
Selon Radio-Canada, aucune personnalité canadienne de « premier plan » n’apparaît dans les documents. On y décèle toutefois la présence d’institutions financières connues, comme la Banque Royale du Canada (RBC), qui aurait créé plus de 370 sociétés-écrans, surtout au Panama et aux îles Vierges britanniques. Une porte-parole de la RBC a réagi en indiquant que la banque avait mis en place des processus pour détecter l’évasion fiscale et qu’elle procédait aux vérifications qui s’imposent auprès de chacun de ses clients.
L’ampleur de l’évitement
Dans une déclaration obtenue par le diffuseur public, le cabinet Mossack Fonseca a pour sa part indiqué qu’il « n’incite pas à commettre des actes illégaux ». « Vos allégations que nous fournissons des actionnaires et des structures dans le but de cacher l’identité des vrais propriétaires sont complètement fausses », ajoute la firme.
Les « Panama Papers » constituent une fuite d’une ampleur inégalée, mais ce qu’ils révèlent ne surprend pas les experts qui s’intéressent à la question des paradis fiscaux. « Ce n’est que la pointe de l’iceberg, affirme André Lareau, professeur de droit à l’Université Laval, spécialisé en fiscalité internationale. L’utilisation des paradis fiscaux permet cette opacité qui facilite drôlement la tâche des voleurs fiscaux. Imaginez ce qui pourra être trouvé dans les autres paradis fiscaux. »
Selon le philosophe Alain Deneault, auteur d’Offshore, paradis fiscaux et souveraineté criminelle, les révélations qui ont été faites dimanche et qui le seront dans les prochains jours ne feront que confirmer l’ampleur du phénomène de l’évitement fiscal. « Il s’agit d’un coup de sonde qui nous permet de voir à quel point des chefs d’État, des hommes politiques à la retraite, de grands oligarques, des entreprises et de grandes figures du monde du sport qui parviennent à contourner leurs obligations sociales, fiscales et légales. Ils y arrivent d’une façon légalisée, mais cela ne respecte en rien la lettre de la loi », dit-il.
« Si on veut s’expliquer les budgets d’austérité et les politiques ultralibérales que les populations essuient depuis des années, nous avons ici un élément important », poursuit-il.
M. Deneault espère que les gouvernements parviendront à mettre sur pied des cadres légaux pour empêcher l’évitement fiscal. Il incite par ailleurs le gouvernement libéral de Justin Trudeau « à revoir la pertinence » de l’accord de libre-échange entre le Canada et le Panama, qui est entré en vigueur en 2013, puisque ce pays d’Amérique centrale « est reconnu par tous les criminologues sérieux comme une lessiveuse de fonds provenant du narcotrafic. »
« Le Canada doit loger des demandes de renseignements auprès des autorités du Panama à propos des contribuables Canadiens qui s’y trouvent et élargir cette demande aux paradis fiscaux, une vingtaine, avec qui il a signé de tels accords », renchérit M. Lareau.
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Les papiers du Panama sont à la fois sans surprise et étonnants. Sans surprise parce que tout le monde sait que l’évasion fiscale est pratiquée par de nombreuses compagnies.
.Étonnants, parce qu’ils révèlent pourquoi parvenir à des ententes internationales pour vaincre l’évasion fiscale est si difficile. La raison en deux mots: des dirigeants de plusieurs pays importants ont un intérêt personnel à garder bien secrètes les transactions financières internationales. Parmi ces dirigeants, ceux de l’Angleterre, de l’Arabie Saoudite, de la Chine, de l’Islande, de la Russie et de l’Ukraine. Le consortium de 378 journalistes qui analyse depuis un an les documents de la firme Mossack Fonseca et cie promet de nouvelles révélations dans les jours qui viennent.
1. Qui est Mossack Fonseca et cie ?
Cette firme internationale d’avocats du Panama est depuis longtemps soupçonnée de liens troubles avec la CIA et avec des groupes maffieux. Elle a la réputation d’être une des firmes les plus opaques au monde. Son site internet annonce, entre autres, qu’elle se spécialise dans la planification financière et la protection des avoirs. Partout, dans toutes les devises. Comble de l’ironie, la firme offre aussi des séminaires de formation pour lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent. Elle aurait aidé à monter 300 000 sociétés à travers le monde. Selon l’enquête des journalistes, la plupart de ces sociétés seraient des sociétés-écrans dont le but est de cacher de l’argent.
2. Comment réagissent ceux qui sont accusés par l’enquête ?
3. Le gouvernement russe pourrait-il tomber à cause des papiers du Panama ?
Les journaux russes font remarquer que le nom de Vladimir Poutine n’est mentionné nulle part dans les documents. Étant donné les informations publiées jusqu’à présent, il est probable que Poutine sortira indemne du scandale. Les révélations rendront son entourage encore plus vulnérable à son bon vouloir. Poutine laisse déjà entendre que le scandale est orchestré par les États-Unis. Il s’en servira aux prochaines élections.
4. Le gouvernement chinois pourrait-il tomber à cause de ces révélations ?
Les censeurs sont occupés à effacer des conversations internet toute référence aux papiers du Panama. D’ailleurs, une organisation médiatique chinoise qui faisait partie du consortium de journalistes se serait fait avertir de ne rien publier sur le sujet. Ces révélations affaibliront le président Xi Jinping, qui se pose en grand pourfendeur de la corruption, mais qui risque d’apparaître de plus en plus comme un leader corrompu et hypocrite. À long terme, ce scandale pourrait le faire tomber. Le problème est que la corruption semble tellement répandue parmi les leaders chinois que beaucoup préféreront se taire.
Papiers du Panama: qui est épinglé, pour quels motifs ?
Voici la liste des principales révélations faites dimanche sur la base des documents provenant du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, classées par catégories de personnes concernées :
1. Les dirigeants politiques
– Des proches du président russe Vladimir Poutine, aidés par des banques et d’autres entreprises, seraient impliqués dans un détournement de quelque 2 milliards de dollars en utilisant des sociétés écran, obtenant ainsi de l’influence auprès des médias et de l’industrie automobile.
– Le Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson et sa femme ont également utilisé une société offshore pour occulter des millions de dollars d’investissements dans les trois principales banques du pays lors de la crise financière. Il est apparu très mal à l’aise face à des journalistes :
– Le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre britannique David Cameron ont des membres de leurs familles liés à des sociétés offshore.
– Le roi Salmane d’Arabie Saoudite contrôle également des sociétés offshore.
– Le président argentin Mauricio Macri a été membre du directoire d’une société offshore enregistrée au Bahamas.
– Des personnes mandatées par le président ukrainien Petro Porochenko ont eu recours aux services de Mossack Fonseca pour créer une société dans les Iles vierges britanniques.
2. Le monde du sport
– Un membre du comité d’éthique de la Fédération internationale de football (Fifa), Juan Pedro Damiani, a eu des liens d’affaires avec trois hommes inculpés dans le scandale de corruption qui touche l’instance dirigeante du football mondial..
– Le meilleur joueur mondial de football, Lionel Messi, et son père sont accusés de posséder une société offshore, Mega Star Enterprises, un nom qui apparaît en juin 2013 au lendemain de l’ouverture d’une enquête par les autorités espagnoles.
– L’attaquant chilien Ivan Zamorano ou l’Argentin Gabriel Heinze, ex-défenseur du Paris SG et de l’OM, sont également évoqués, à chaque fois pour des questions de gestion de droits d’image.
– Les documents montrent également comment le club espagnol de la Real Sociedad a payé plusieurs de ses joueurs étrangers entre 2000 et 2008 via des sociétés offshore installées dans des paradis fiscaux.
– Le président suspendu de l’UEFA Michel Platini a eu recours à Mossack Fonseca pour administrer une société offshore créée au Panama en 2007. Tout comme l’ex-secrétaire-général de la Fifa, Jérôme Valcke, figure en tant que propriétaire d’une société basée aux Iles Vierges britanniques.
3. Les milieux économiques
– Plus de 500 banques, filiales et succursales ont travaillé avec Mossack Fonseca depuis les années 1970 pour aider leurs clients à gérer des sociétés offshore. Sur RTL lundi matin, Élise Lucet, rédactrice en chef de l’émission Cash Investigation, a notamment cité la Société Générale.
– 29 milliardaires figurant sur la liste de Forbes des personnes les plus riches au monde sont mentionnés.
4. Le monde du crime organisé
– Le cabinet d’avocats panaméen a travaillé avec au moins 33 personnes et sociétés figurant sur la liste noire des États-Unis en raison de liens entretenus avec des barons mexicains de la drogue, des organisations terroristes ou des États voyous, incluant la Corée du Nord.
– Parmi les clients du cabinet figurent aussi des responsables de chaînes de Ponzi, des fraudeurs fiscaux ainsi qu’un homme d’affaires américain condamné pour s’être rendu en Russie afin d’avoir des rapports sexuels avec des orphelins mineurs, qui a signé des papiers pour des sociétés offshore pendant sa détention en prison.
Les réactions politiques en France
De nombreux pays ont ouvert des enquêtes pour blanchiment dans la foulée des révélations de l’opération « Panama papers », dont la France.
François Hollande a affirmé que « toutes les informations qui seront livrées donneront lieu à des enquêtes des services fiscaux et à des procédures judiciaires« , remerciant par ailleurs les « lanceurs d’alerte et la presse » pour ces révélations qui vont, selon lui, permettre de nouvelles « rentrées fiscales ».
Guillaume Larrivé, porte-parole du parti Les Républicains, a fait part de « son intérêt » pour les révélations des « Panama Papers », appelant toutefois à la « prudence », en attendant que « toute la lumière soit faite » par la justice.
Florian Philippot, vice-président du FN, a lui affirmé que ni son parti ni Marine Le Pen n’avaient de « compte offshore » ou de « compte au Panama ». Il précise que le parti français évoqué par le quotidien Le Monde comme impliqué dans ce vaste scandale d’évasion fiscale « ne peut pas être le FN », qui est un « parti assez pauvre » et qui « évidemment n’a pas de compte offshore ou Panama ou je ne sais quoi ».
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