À la conquête de l’Amérique, l’empire familial Mulliez débarque à Brossard avec ses milliards
BROSSARD, QUÉBEC — Mulliez: ce nom français fait fureur, avise Marie Bordet, Le Point.fr. Cet empire familial de 100 milliards de dollars, part à la conquête de l’Amérique en ouvrant son premier magasin d’articles de sport à bas prix avec sa chaîne Décathlon, au Mail Champlain, à Brossard en banlieue de Montréal, au printemps 2018.
Cette aventure commerciale en Amérique française d’abord, se veut résolument le prélude d’une percée de l’Amérique du Nord, chez nos voisins du Sud, les États-Unis, où la concurrence est âprement disputée entre les bannières prestigieusement milliardaires.
La chaîne Décathlon exploite 1176 magasins et emploie
78,000 personnes à travers plusieurs pays dont la Chine. Ses concurrents québécois et canadiens sont Sports Experts, Atmosphère, Canadian Tire, Sail et Sportium, notamment.
Actuellement, 5 sociétés sont liées à l’Association familiale Mulliez (AFM). Cet empire de quelque 100 milliards de dollars emploie 360,000 personnes.
REVUE DE PRESSE (Le Point, Paris). Par Marie Bordet, Le Point.fr
« Mulliez » est un nom qui fait fureur. Dans le Nord, il suffit de le chuchoter à l’oreille de votre interlocuteur pour que celui-ci se mette illico à trembler comme une feuille. Régis Cauche, le maire de Croix, dans la banlieue chic de Lille, nous répond cordialement au téléphone. On lui expose le sujet d’étude : la famille Mulliez, dont d’illustres représentants habitent sa commune – ce qui en fait d’ailleurs une championne de l’ISF. Le sourire s’éteint en bout de ligne. »Ce sont des entrepreneurs hors pair, répond l’édile . Ils sont discrets, on ne connaît qu’une infime partie de leurs activités. Bien sûr, on entend des choses, mais je ne suis pas habilité à en parler. Au revoir ! » Loi du silence.
Les Mulliez forment un clan fondé sur les liens du sang. Sur une représentation traditionnelle de la famille, aussi, où les filles Mulliez élèvent le plus souvent leurs enfants, tandis que les hommes se dévouent corps et âme à leur entreprise. Unis par un pacte familial, ces catholiques nordistes ont bâti un incroyable empire dans la distribution. Ils règnent sur un groupe qui réalise 68 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 360 000 salariés ! Les Mulliez sont entrés de force dans la vie des Français. Ils ont mis au point un maillage serré du territoire, sorte de rouleau compresseur de la grande distribution.
La famille a commencé avec l’alimentation et les hypermarchés Auchan, puis a dupliqué le concept à l’infini: le sport avec Decathlon, le bricolage avec Leroy Merlin, la restauration avec Flunch, l’entretien de voitures avec Norauto, les tapis avec Saint-Maclou, l’électroménager avec Boulanger, etc. On estime qu’elle possède une surface équivalant à 4 millions de mètres carrés dans l’Hexagone ! Issus de l’industrie textile du Nord, les Mulliez ont abandonné toute idée de production. Les anciens industriels se sont réveillés commerçants. Gérard Mulliez, le patriarche fondateur de 81 ans, dont la fortune (avec ses 600 cousins) est évaluée par le magazine Challengesà 18 milliards d’euros, est sorti du silence. Il a reçu Le Point, une fin d’après-midi orageuse, au siège social d’Auchan, dans sa ville de Croix. ça lui a pris soudainement, cette envie de lever un coin du voile. Comme une mise au point rageuse, aussi. »Je lutte contre les contre-vérités, explique-t-il.On dit des tas de choses fausses sur mon compte. Notamment que j’habite en Belgique. Cela fait des années que ça dure. Ça me rend fou furieux ! J’habite en France depuis toujours, à cinq minutes d’ici, à côté de mon fils Arnaud. Vianney [NDLR, le président d’Auchan] habite lui aussi dans le Nord. » Rencontre avec le plus secret des milliardaires français.
Le Point : Comment devient-on entrepreneur ?
Gérard Mulliez : Mon père – Gérard Mulliez « Cavrois », deuxième fils de Louis Mulliez, fondateur de la dynastie – a créé la marque Phildar et mon oncle Louis a fondé les filatures de Saint-Liévin. Moi, à l’école, j’étais plutôt dans les derniers de la classe… A l’adolescence, mes parents m’ont envoyé passer une année en Angleterre. J’ai appris à jouer au rugby et au billard, mais aussi à parler l’anglais. Cela a été un atout. De retour en France, mon père m’a dit : « Si tu travailles bien, si tu as ton bac, je te paierai une moto. » J’ai cravaché mais j’ai raté mon bac. Mon père était très déçu mais… il m’a quand même acheté la moto. Il a récompensé l’effort et non le résultat de l’effort. C’est important dans la vie. Car les résultats ne viennent pas forcément tout de suite…
Comment avez-vous démarré ?
Je suis rentré à l’usine Phildar pour apprendre le métier à 18 ans, comme tous les fils de patron de ma génération qui n’avaient pas fait d’études. Le principe était simple : il fallait comprendre chaque détail de la fabrication, connaître et expérimenter soi-même tous les métiers des ouvriers. Cet apprentissage était nécessaire pour pouvoir un jour diriger l’usine. J’ai travaillé sur les machines. C’est comme ça que j’ai perdu une partie de ma main droite… Je revenais du régiment. Je rentre sain et sauf et, à mon retour, j’ai cet accident à la main. C’est trop bête. Ensuite, j’ai fait du porte-à-porte pour vendre des machines à tricoter. Ce n’est vraiment pas facile de sonner chez les gens. Et c’est là que j’ai compris qu’il fallait être à l’écoute des consommateurs. Je me demandais pourquoi on fabriquait et vendait des machines à tricoter alors que je voyais exploser les ventes de réfrigérateurs Thomson. J’approchais de la trentaine et je commençais à avoir envie d’ailleurs. A l’époque, on appelait les fils de famille par leur prénom : « Monsieur Jean », « Monsieur Henri », etc. Moi, je ne voulais pas être « Gérard fils », comme on m’appelait chez Phildar.
D’où vous est venue l’idée de la grande distribution ?
Mon père avait découvert aux Etats-Unis les magasins en libre service. Il m’a invité à faire le voyage. A mon retour, la famille m’a confié une usine de retordage désaffectée dans le quartier des Hauts-Champs, à Roubaix, que j’ai transformée en magasin. On est allés voir le maire socialiste de Roubaix. Il était emballé. Il a été le premier client du premier Auchan ! [NDLR : ouvert en juillet 1961]. On a commencé par appeler le magasin Ochan. Mais ma famille a trouvé que ça sonnait trop japonais… On l’a changé en Auchan.
Alors, succès immédiat ?
Pas du tout ! Au bout de trois ans, mon père m’a convoqué : « Gérard, il y a un problème. Tu ne gagnes pas d’argent. Je te laisse encore trois ans. » J’étais livide. Il m’a mis une pression maximale. J’ai rencontré Marcel Fournier, le fondateur de Carrefour. Il m’a donné une leçon : il vaut mieux vendre cent petits gâteaux avec 1 centime de marge que dix petits gâteaux avec 10 centimes de marge. On a testé l’idée. On a cassé les prix de la bouteille de whisky en prenant la même marge en francs que sur une bouteille d’eau minérale ! Le rayon a été dévalisé ! Les hommes venaient, puis disaient à leur femme : « Va chez Auchan, c’est moins cher. » On a vite découvert que chaque personne avait son article de référence. Mais ce n’est pas le même pour tout le monde. Le mien, c’est la banane. Quand je visite un supermarché, je regarde le prix du kilo de bananes.
Votre famille est liée par un pacte familial.
La solidarité familiale s’est mise en place en 1955 chez Phildar. Comme souvent dans le Nord, les garçons travaillaient dans les affaires et touchaient de gros appointements, tandis que les filles n’avaient rien. Les parents ont trouvé cela injuste. Les filles ont donc eu le droit d’être actionnaires comme les garçons. On a distingué la rémunération des garçons travaillant dans l’entreprise et la stricte rémunération du capital. Cela a permis aux filles de ne pas être lésées, et aux garçons qui avaient une vocation extérieure à l’entreprise de toucher un revenu. Et puis, pour que les gens laissent les titres dans l’entreprise, il fallait bien rémunérer le capital. On se voyait le samedi matin dans une des usines à Roubaix. Après moult réunions auxquelles assistaient les frères Mulliez et un fils aîné de chaque famille, dont moi, on a mis au propre le premier règlement de la famille.
Combien étiez-vous à l’époque dans la famille ?
Certains oncles avaient treize enfants, d’autres comme mon père n’en avaient que six. Il fallait imaginer un règlement qui permette à tout le monde de vivre. Pour les Mulliez oeuvrant dans l’entreprise, on a posé des principes. Il n’était pas question de surpayer les individus parce qu’ils étaient de la famille. Il n’y a pas de droit au fauteuil. On garde les gens efficaces, on ne garde pas les mauvais. Mulliez ou pas, on ne fait pas de différence. Autre principe : il était interdit de faire des frais sur l’usine. Quand on prenait de l’essence à la pompe de l’usine, c’était déduit de nos appointements. Aujourd’hui, j’achète mes timbres à la poste.
La vie des Mulliez est régie par une forme d’ascèse?
Mes parents se levaient pour la messe de 7 heures du matin, puis travaillaient jusqu’à 8 heures du soir. Ils allaient parfois à l’usine la nuit. Ils ne sortaient jamais, n’étaient pas mondains, ne recevaient personne. C’est comme ça qu’ils ont réussi. Quand vous dînez le soir jusqu’à minuit avec vos amis, vous n’êtes pas en forme le lendemain. Mes parents se couchaient à 9 heures du soir, moi aussi d’ailleurs, sauf exception.
Quelles exceptions ?
Je consacre deux soirs par mois à des réunions. Je suis membre de deux cercles de réflexion, le Centre français du patronat chrétien et le Mouvement des cadres chrétiens, qui réunit des chefs d’entreprise ou des cadres dirigeants. On dîne et on évoque des sujets importants. Est-il juste de partager les résultats ? Faut-il travailler le dimanche ? On se réfère aux encycliques papales et, après, on en discute dans le détail. Je fais aussi partie d’un club de vélo – on fait des balades dans la région le week-end – et d’un groupe de marche à pied. Voilà, ce sont mes seules mondanités…
On parle souvent du « groupe Mulliez ».
C’est un fantasme de journalistes de croire qu’il y aurait un « groupe » dirigé par cinq à dix personnes. Chaque entreprise est née de la volonté d’un individu. Chaque société est autonome. Elle l’est d’autant plus que les collaborateurs sont actionnaires : chez Auchan, ils détiennent 12 % du capital !
Quel est le parcours classique d’un jeune Mulliez ?
Je milite pour que les jeunes commencent à travailler dans une entreprise – de la famille ou pas – avant de monter leur société. Tout n’est pas écrit dans les bouquins.
La famille s’entraide ?
Le jeune Mulliez travaille son idée, puis regarde s’il peut la réaliser seul. S’il ne peut pas, il doit « vendre » son idée. Pourquoi les Mulliez ont-ils réussi ? Parce que la famille parraine le créateur, l’aide à démarrer. On met en place un conseil de surveillance, constitué de membres de la famille ou de cadres d’autres entreprises, pour l’aider, lui donner des conseils.
Comment transmettez-vous ce virus de la création d’entreprise aux nouvelles générations ?
Le secret pour maintenir cet état d’esprit, c’est l’exemplarité des anciens. Il y a eu mon père avec Phildar, l’oncle Louis avec les filatures Saint-Liévin, puis moi avec Auchan, Gonzague avec Saint-Maclou, Patrick avec Kiabi, Eric Derville avec Norauto, Stéphane Mulliez avec Picwic, Michel Leclercq avec Decathlon, Christophe Dubrulle avec Leroy Merlin, Daniel Lepoutre puis Jean-Louis Landrieux avec Flunch et les activités de restauration, Christian Leroy avec Pimkie, etc. Alors, les jeunes se disent : pourquoi pas nous ? La base, c’est la confiance. Si je m’étais planté avec Auchan, cela aurait sonné le glas des diversifications…
Qu’est-ce qui pousse les jeunes Mulliez à se lancer ?
Ils peuvent bien essayer de vivre avec les rentes du travail des autres… Ce n’est pas possible. Les parents sont actionnaires, les jeunes ne touchent pas de dividendes. Ils peuvent avoir des actions, mais les parents conservent l’usufruit. Les enfants ne disposent que de la nue-propriété.
Il n’y a donc pas de rentiers Mulliez ?
On fait tout pour qu’il n’y en ait pas. Evidemment, il y a des parents qui sont plus ou moins généreux. C’est comme ça. Mais chez nous, les rentiers ne sont pas tellement bien vus. Ils ne sont pas très fiers d’eux-mêmes. On fabrique un homme ou une femme parce qu’il ou elle se bat tous les jours pour réussir sa vie. Son caractère se forge au fur et à mesure. La facilité n’a jamais engendré des personnes remarquables.
Avec quels principes éduquez-vous les enfants ?
Chacun fait ce qu’il peut avec ses enfants ! Il faut qu’ils connaissent la valeur de l’argent. Mes petits-enfants travaillent à Auchan pendant les vacances ou les week-ends. A l’EM Lyon, mon petit-fils bossait tous les vendredis soir et les samedis soir comme hôte de caisse au magasin de Dardilly.
Les jeunes Mulliez doivent-ils suivre une formation pour intégrer l’Association familiale Mulliez (AFM) ?
Oui. Il faut former des actionnaires responsables. On leur apprend l’histoire des entreprises, le management et la comptabilité. On organise des voyages d’études. Ils visitent les magasins Auchan en Espagne ou en Russie, par exemple. Cela donne une fierté d’appartenance. Cela permet à la nouvelle génération de se connaître, de créer une saine émulation entre eux. Notre génération était peu nombreuse, on se connaît bien. On était une centaine, lors des débuts. Maintenant, nous sommes six cents cousins dans l’AFM.
Dont certains habitent en Belgique pour échapper à l’ISF ?
Cinq ou six familles sont parties de l’autre côté de la frontière, c’est tout. Contrairement à ce que les gens pensent, il n’y a pas que la fiscalité. En Belgique, il y a un beau cadre de vie. De jolies maisons, des jardins magnifiques.
Connaissez-vous tous les cousins ?
Impossible, ils sont trop nombreux ! Eux me connaissent tous. Forcément, je monte sur l’estrade de temps en temps, lors de nos assemblées générales d’actionnaires…
Quel rôle avez-vous dans la famille ?
Je suis l’exemple d’un Mulliez qui a réussi. Quand je le juge nécessaire, je prends la parole pour rappeler les grands principes. Par exemple, j’ai dit récemment que si les jeunes de la famille ne travaillent plus dans nos entreprises, elles ne seront bientôt plus des affaires familiales et elles éclateront. Pourquoi laisser notre argent dans des entreprises dont on ne connaîtrait les dirigeants ni d’Eve ni d’Adam ? Les Mulliez démarrent chez nous au bas de l’échelle… S’ils réussissent, ils gagnent en responsabilités. Sinon, ils vont voir ailleurs…
Comment gérez-vous les conflits ?
On discute. On peut ne pas être d’accord, mais on s’écoute. Il faut être en transparence et dire ce qu’on pense. La famille Mulliez a du bon sens, et en général la lumière jaillit de la discussion. Ça se finit parfois en vote, comme quand on amende le règlement familial. On l’améliore sans cesse. Le dernier remonte à 2007. Il doit évoluer, car les temps changent… Par exemple, les actionnaires obtiennent désormais le droit de vote plus tôt qu’avant. Le principe de base pour être actionnaire : être apparenté par le sang ou par le mariage à mon grand-père Louis Mulliez-Lestienne. Il faut bien mettre une barrière quelque part… Pour les gendres ou les belles-filles, il y a tout un processus pour devenir actionnaire. Ce n’est pas acquis de droit. Ensuite, les divorces – qui se multiplient – compliquent forcément les choses. Les gendres ou belles-filles qui divorcent doivent revendre leurs actions.
Le modèle traditionnel de la famille se perd. Est-ce que cela complique les choses pour les Mulliez ?
Nous n’avons pas à juger de la vie de chacun, chacun est libre dans la famille. Mais, évidemment, le fait d’avoir une vie familiale houleuse, ce n’est forcément pas bon pour le travail. La pratique de la religion catholique se perd aussi.
Quelle est la place des femmes dans la famille ?
Il y a de plus en plus de filles Mulliez qui créent des entreprises. Cela évolue. On vit dans un environnement où les femmes savent mieux s’organiser, et puis, surtout, elles ont moins d’enfants. Quand on a trois enfants, c’est plus facile que quand on en a treize…
La famille Mulliez fonctionne avec six cents cousins. Et quand vous serez mille, voire deux mille ?
On sera peut-être 1 millier d’actionnaires d’ici quinze ans. On verra bien… Si on parvient à une prospérité constante, le fonds trouvera toujours des Mulliez pour continuer à y mettre leurs économies !
La Bourse, jamais de la vie ?
C’est une solution de facilité. Faire une augmentation de capital, c’est moins compliqué que de gagner l’argent avant de faire la dépense ! Alors, les dirigeants arrêtent de se battre. Dans les sociétés cotées, la direction passe parfois plus de temps à raconter les victoires de demain aux analystes financiers qu’à livrer les batailles d’aujourd’hui.
Vous n’avez jamais songé à déménager à Paris ?
On me disait : tu ne peux pas réussir en restant à Lille. Viens à Paris. Heureusement que je n’ai pas écouté ces sirènes ! A mes yeux, Paris n’a que des inconvénients : le logement coûte cher, les temps de transport sont énormes, et donc le temps de travail est moindre. Moi, j’habite à cinq minutes à pied de mon bureau. Et le week-end, au lieu de prendre ma voiture pour aller dans une résidence secondaire, je traverse mon jardin avec mon chien et je vais me promener dans le bois.
Que faites-vous de votre argent ?
J’ai une vieille Mercedes qui a 11 ans, une maison à Croix et une résidence secondaire dans le Sud. Je n’ai pas de yacht ou de collection d’art contemporain… De toute façon, je réinvestis tout. Pour moi, profiter de la vie, c’est être heureux dans mon travail, avec ma famille et mes amis.
Vous n’avez jamais fait de folies ?
Dans la famille, on se fait vite rappeler à l’ordre. C’est sain. Quand un de mes oncles a acheté un appartement très cher à Paris, je l’ai sermonné. Car on ne doit pas dépenser tant d’argent dans un appartement…
Il l’a bien pris ?
Je m’en fiche… Quand on se fait réprimander, ça marque. Ça fait du bien. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas qui font des bêtises.
Etre économe, c’est ancré dans l’ADN familial ?
Mon père a toujours rêvé d’avoir une Mercedes. Sauf qu’il était actionnaire des garages Peugeot de Roubaix… Il n’était donc pas question d’acheter autre chose qu’une Peugeot. Quand il a eu 70 ans, nous avons décidé de lui offrir une Mercedes. Trois mois de délai. Quand la Mercedes est arrivée, il est allé au garage et a dit : « Je ne vais pas renoncer à toute l’éthique d’une vie. » Il a rendu la voiture, il est parti chez Peugeot…
Avez-vous fait des erreurs stratégiques ?
On a raté le virage de l’hôtellerie. On a raté le fast-food avec Pic Pain, une chaîne de sandwichs. On a raté le hard discount, on l’a arrêté trop tôt. Quelle sottise ! Quand un cousin me dit : pourquoi tu investis là-dedans, ça ne marchera jamais ! je lui réponds : tu m’as dit la même chose pour Leroy Merlin. Tu es content de son succès, non ? Alors, ne m’embête pas…
On parle parfois de vous comme d’une puissance quasi occulte qui régnerait sur le Nord ?
Cela m’est égal que les gens fantasment sur notre supposée puissance. Nous ne sommes pas secrets, nous sommes discrets.
Côtoyez-vous les hommes politiques ?
Quand j’étais patron d’Auchan, j’ai rencontré tous les ministres des Finances. Laurent Fabius est un type génial, Pierre Bérégovoy était fantastique. J’allais les voir à Paris. Le seul ministre des Finances qui est venu à Lille, c’est Nicolas Sarkozy. Quant à Martine Aubry, j’ai apprécié qu’elle ne me confonde pas avec un représentant du capitalisme sauvage.
Que pensez-vous de la rémunération des patrons ?
Limiter la rémunération des patrons à vingt fois le smic, c’est mon idée ! C’est la règle depuis longtemps chez Auchan. Un dirigeant trop payé s’éloigne du vécu des clients, ce qui est mauvais, voire dangereux. S’il se constitue un patrimoine en achetant des actions de la société, c’est autre chose.
Est-ce facile d’être riche en France ?
Aux Etats-Unis, on dit de celui qui est riche qu’il a bien travaillé, que c’est un type fantastique. En France, on dit de lui que c’est un voleur. Je ne suis pas l’homme le plus riche de France ! C’est un mensonge. Je suis un actionnaire familial parmi d’autres. C’est tout. On a été me comparer à Mme Bettencourt ou à Bernard Arnault. Cela n’a rien à voir ! LVMH, c’est vraiment Bernard Arnault, tout seul, qui l’a développé.
Mais Auchan, c’est vous…
Auchan, c’est moi qui l’ai créé et l’ai fait grandir. Mais si je n’avais pas eu la famille derrière, je n’aurais pas réussi. De plus, ma richesse est virtuelle. Je détiens des actions dans un fonds familial. Je ne peux pas les vendre. Je peux en écouler quelques-unes pour me faire un cadeau mais je ne peux pas tout liquider. Car vendre beaucoup reviendrait à mettre en danger la valeur des actions.
Comment jugez-vous le projet de taxation à 75 % des revenus annuels dépassant 1 million d’euros ?
S’il s’agit uniquement de salaires, c’est une excellente idée. C’est démesuré de toucher un salaire pareil ! On pourrait même taxer à partir de 500 000 euros. Mais si on inclut les revenus des dividendes, on menace l’économie française. Car plus personne n’investira dans les entreprises. François Hollande veut taxer les riches. Mais que font-ils avec leur argent ? Ceux qui font la grande bringue, on peut dire qu’ils gaspillent, même si cela fait vivre des gens… Mais la plupart réinvestissent. Qu’est-ce que c’est qu’un riche ? A la base, c’est quelqu’un qui dépense moins qu’il ne gagne. Ma richesse est due au fait que toute ma vie je n’ai pas dépensé plus que ce que je pouvais dépenser. Ce qui n’est pas le cas de la France…
L’Etat donne le mauvais exemple ?
Les maires ne savent pas dire non à certains projets. Ils dépensent l’argent qu’ils n’ont pas gagné. Les conseillers généraux, les ministres, les patrons dépensent l’argent qu’ils n’ont pas ! Cela finit souvent en catastrophe.
Doit-on faire confiance au président Hollande pour redresser le pays ?
Je ne le connais pas. On verra dans cinq ans. Ce que je sais, c’est qu’à Lille on va fabriquer un grand stade de football. Cela va coûter une fortune et les remboursements vont s’étaler sur vingt-sept ans ! Etait-ce nécessaire ? Si j’étais au pouvoir, je mettrais un ministère dans chaque grande ville de France. Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux. Pourquoi tout concentrer à Paris ?
18 milliards d’euros
C’est la fortune de Gérard Mulliez et de sa famille, estimée par le magazine » Challenges « dans son classement 2012 des fortunes de France, qui paraît le 12 juillet. Cela les place au deuxième rang, juste derrière Bernard Arnault.
Le groupe Mulliez, c’est en France
6,7 % des ventes en hypermarchés,
8,1 % du commerce d’habillement,
36,3 % des articles de sport,
2,6 % du commerce de meubles,
10,3 % du commerce électroménager, hi-fi, TV, nouvelles technologies,
25,9 % du marché du bricolage,
14,9 % de la vente à distance.
Données 2009.
Source : » Le groupe Mulliez 2006-2011 « , de l’économiste Benoît Boussemart.
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