«Les Français, des francophones comme les autres» — MACRON

REVUE DE PRESSE –   Le Devoir, Montréal, Québec.

LOUISE BEAUDOIN, Québécoise de Montréal.

Louise Beaudoin, ancienne ministre du Parti québécois et chroniqueuse au Devoir, a été invitée par le journal Le Monde à écrire aujourd’hui un texte sur le récent discours du président Macron. Pour le bénéfice de nos lecteurs et lectrices nous reprenons son texte, avec son accord.

Les Français sont des francophones comme les autres. Ainsi l’a décrété hier [mardi] Emmanuel Macron dans son discours très attendu sur l’ambition de la France pour la langue française et le plurilinguisme prononcé à l’Académie française.

Enfin ! diront les autres francophones disséminés sur les cinq continents. Nous attendions depuis longtemps une telle déclaration, et nous espérons tout simplement qu’elle sera suivie d’effets concrets. Ainsi dorénavant n’entendrons-nous plus jamais un président de la République affirmer, comme le fit Nicolas Sarkozy à propos du rôle de TV5 Monde : « Je veux renforcer les moyens de diffusion de la culture française dans le monde. » Cette phrase en disait long : pour beaucoup de Français et pour le premier d’entre eux, la Francophonie, c’était la France ; la langue française, c’était la France. Grand bond en avant, par conséquent, hier [mardi], avec cette reconnaissance d’une francophonie multiple dont la France n’est plus nécessairement le centre, tout en admettant qu’elle a des responsabilités particulières par rapport à la langue française.

Collectif d’écrivains francophones

Dany Laferrière, académicien français.

Il y a plus de dix ans, un collectif d’écrivains francophones, dont plusieurs Québécois, notamment Dany Laferrière et Wajdi Mouawad, lançait un manifeste qui avait fait, à l’époque, grand bruit. Pour ces auteurs, la littérature française était un élément, ni plus ni moins, de la littérature francophone et les lettres francophones n’étaient pas une simple dépendance de la littérature française. Ils ajoutaient que la langue française devait être « libérée de son pacte exclusif avec la nation », sous-entendue « française », car elle appartenait à tous les francophones.

 

Wajdi Mouawad

Alain Mabanckou souhaitait même, compte tenu de sa connotation péjorative pour beaucoup d’Africains parce que teintée de post-colonialisme, abolir le terme « Francophonie » et utiliser celui de « littérature-monde en français », plus près selon lui de la réalité. Le président Macron, cette humilité l’honore, n’a pas aboli la Francophonie, mais il a pris acte de ces revendications et parle maintenant d’une langue « archipel »… Il y a indubitablement un rapprochement ! Les Français deviennent, sans doute par la force des choses, des francophones comme les autres.

EMMANUEL MACRON ET LE QUÉBEC

Emmanuel Macron s’interroge sur le Québec, pourtant devenu cet État-nation français d’Amérique aux 9 millions d’habitants à 80 pour cent francophone.

En même temps cependant, un constat s’impose : Emmanuel Macron ne comprend pas entièrement la réalité spécifique du Québec. Il y a longtemps que nous, Québécois, savons que défendre le français c’est défendre toutes les autres langues, sauf une, celle qui se veut hégémonique.

Ce n’est donc pas là que le bât blesse. C’est lorsqu’il fait l’impasse sur les plus de six millions de francophones québécois, en grande majorité de langue maternelle française, dont beaucoup de descendants des 10 000 Français ayant émigré en Nouvelle-France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ceux-ci ont décidé collectivement de vivre en français en Amérique. Donc de vivre dangereusement ! En décrétant, en 1974, le français comme seule langue officielle sur leur territoire et en adoptant, en 1977, la Charte de langue française. Ce que nous refusions alors et refusons encore aujourd’hui, c’est le bilinguisme. Non pas individuel, évidemment, mais institutionnel. Dans la bataille des langues en Amérique du Nord, l’anglais ne peut avoir le même statut au Québec que le français ; ce serait signer l’arrêt de mort du français chez nous.

Notre situation est donc bien différente de celle des Africains ou des Antillais. Mais ne perdons pas espoir puisque le président prendra la parole à l’Assemblée nationale à Québec en juin lorsqu’il viendra dans Charlevoix, ma région, prendre part au G7. D’ici là, il pourra s’informer, lire, pourquoi pas Gaston Miron puisqu’il nous a fait l’honneur de le citer dans son discours. Auteur de L’homme rapaillé, ce grand poète écrivait : « dépoétisé de ma langue et de mon appartenance, je parle avec les mots noueux de nos endurances ».

Peut-être Macron sera-t-il convaincu, lui qui manie si bien notre langue commune, de ne plus hiérarchiser les langues : s’exprimer en français quand il s’agit du rayonnement culturel ou de la vie quotidienne, mais en anglais pour ce qu’il considère être les « vraies affaires ». Et ce, non seulement à Davos, comme il le prétend, mais aussi par exemple à Paris, en décembre dernier, au Sommet qu’il a lui-même convoqué, le One Summit Planet.

« France is back, French is out » (Libération)

Pendant vingt-huit longues minutes, dans son allocution qui concluait ces assises, le français n’était qu’un liant entre les douze engagements exprimés en anglais. Libération écrivait le lendemain de l’événement : « France is back, French is out ». Quel message envoie-t-il ainsi à tous les francophones de la planète ?

La vraie surprise en l’écoutant hier [mardi], c’est qu’il n’a pas présenté sa vision de l’Organisation internationale de la Francophonie. Quel rôle pour l’institution ? Que pense-t-il de ses orientations ? De ses actions ? De sa gouvernance ? De sa secrétaire générale ? Mérite-t-elle un second mandat lors du prochain sommet qui se tiendra en Arménie l’automne prochain ?

La position de la France est attendue avec impatience.


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