« ORACLES » d’Alejandro Cervantes: « UN LIVRE EXIGEANT » — Gérald Gaudet

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De sa voix douce, Alejandro Cervantes récite quelques pensées de son recueil Oracles. Photos, Michel Cloutier, Québec Presse.

 

PAR MICHEL CLOUTIER, Journaliste, écrivain, éditeur de

QUÉBEC PRESSE — Trois-Rivières, le vendredi 25 mars 2016. 

Ses mots ont cette odeur d’esprit, ce mouvement intérieur du regard, une foi initiale dont la quête absolue se veut efficacement sacrée sur les choses simples à voir, à dire et contempler au grand jour de la conscience intellectuelle chez le poète Alejandro Cervantes.

L’ironie se frotte également aux mots dans cette conscience de soi qui trouve ici son accomplissement dans un recueil poétique ingénieusement fabriqué de pensées, d’aphorismes et de maximes. C’est à y prendre goût. Ce poète (chilien d’origine) habite Trois-Rivières. Avec l’âme entière, il s’amène dans un acte vertueux,  livrant au grand public son recueil de 118 pages au titre ambitieux: Oracles, aux Éditions de l’Exil de Saint-Élie-de-Caxton, situées dans l’arrière-pays trifluvien, au centre du Québec (pour ceux qui souffrent d’une déficience géographique).

 »C’est un livre exigeant », signale d’ailleurs le critique littéraire et poète Gérald Gaudet, professeur de littérature au Collège de Trois-Rivières, en présentant l’auteur en ces belles heures de lancement déroulées au café  »La P’tite Brûlerie » de la rue Laviolette à Trois-Rivières.

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Le poète Cervantes sous les questions du critique Gérald Gaudet. Un échange fascinant.

En fait, c’est  »un livre exigeant » parce que  »nous sommes pressés’‘, explique le critique avec justesse. Il est si vrai de voir ainsi les gens manquer outrageusement de temps (c’est le tragique de l’existence que de manquer de temps), incapables de se permettre une limpide pause réfléchie, happés qu’ils sont par la fébrilité désordonnée des courses et des activités tourbillonnantes.

Rien, rien, rien pour sanctifier un moment de profondeur à crier  »bravo je pense donc je suis! »… la société échappe aux voies mystérieuses et lumineuses du langage, n’éprouvant que la déroute des sens à tous points de vue. Nous sommes devenus des spectateurs instables, désormais désarmés, en perdition, désormais en péril mortel, tragiquement exposés aux exaltations vides.

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Photographe de presse oblige: le poète subit les éclairs de l’objectif.

Heureusement, les exaltations de Cervantes marquent des points sur la vie pathétique en se couronnant de mots secourables pour conjuguer un peu de transparence dans tout ce qu’il appelle sacré. Pour lui, le sacré est une conscience engendrée, en lien direct avec les choses, une conscience projetée partout dans les silences intérieurs comme dans la simplicité extérieure des faits et gestes.

La pureté céleste du sacré avec un grand S ne semble pas si loin, l’expérience mystique semble à l’honneur dans un appel intérieur vivifiant. La foi, cette  douce voix du Saint-Esprit, serait-elle en train d’éclore? Cette foi  dont la Joie chrétienne surpasse toute joie humaine? Rappelons-nous Paul Valéry et la confidence d’un tout dernier mot prononcé sur son lit de mort:  »L’Amour est venu avec Jésus ». Ah! Cet immortel Jésus de Nazareth a touché in extremis l’âme du poète du Cimetière marin.

 »Nous attendions ce livre! C’est un oracle, une prière, une demande… c’est un sanctuaire que ton livre. C’est un livre de savoir, de sagesse, de pensées. C’est un livre à part », a exposé  Gérald Gaudet. Les ORACLES deviennent un événement littéraire dans le saut aventureux de la littérature québécoise. Un auteur est né, braqué vers le futur aux fins sacrées des mots.  

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Le philosophe Clément Loranger de Trois-Rivières sait tresser des couronnes philosophiques dans ses entretiens.

Parmi les invités, le philosophe Clément Loranger a justement parlé à la période de questions, du devenir mystique entre le Québec et la France. Brièvement soulevée, cette puissante trajectoire a fait retentir Alejandro Cervantes puisque la démarche spirituelle de sa poésie n’a pas connu le tressaillement espéré des éditeurs québécois. Le spirituel, cette racine vivante, ne loge pas d’évidence au palmarès de la littérature québécoise, sauf chez les quelques éditeurs religieux.

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Thaïs Barbieux, écrivaine et l’éditrice passionnée, raconte les étapes de la fabrication artisanale des volumes, reliés aux ateliers des Éditions de l’Exil de Saint-Élie-de-Caxton.

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De toutes les surprises, Sarah Barbieux, auteur du remarquable livre  »Gitanes de mère en fille », a offert un chant sacré de musique ancienne du Yémen dont les paroles sont extirpées des pensées des ORACLES d’Alejandro Cervantes. Un moment touchant.

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Parmi les invités, Madame Aglaée (d’origine suisse-allemande), professeur de lettres à l’université. Elle avait habité à 15 ans, la maison du romancier Thomas Mann.

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Un public attentif, sous le charme des mots du poète qui raconte avoir été, dans sa jeunesse, séduit par le rayonnement intellectuel de Jean-Paul Sartre, sans pour autant partager son  »système » philosophique.

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La Pensée du philosophe Clément Loranger se traduit dans cette expression métaphysique… et mystique. Pourquoi pas!

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Natif de Maipù au Chili en 1968, Alejandro Cervantes a suivi l’exil de ses parents en 1975, en fuyant la dictature de Pinochet. Son monde artistique démarre en 1990 avec la musique, jouant de la guitare dans divers ensembles, puis en solo en tant qu’auteur-compositeur-interprète. Il s’intéresse à la peinture à la fin des années 1990, aboutissant à une exposition de ses oeuvres à Montréal. Toutefois, la poésie occupera toute la place durant ces 14 dernières années.

Qui est Michel Cloutier?

LA CRITIQUE:

De Montréal:  »Les poèmes des Oracles me font penser aux maximes de la tradition française, avec une touche de Haïku et d’humour. »
—Hugh Hazelton, professeur agréé -retraité- en Langues et linguistiques classiques et modernes.

De Trois-Rivières: 

Alejandro Cervantes et son livre de savoir et de sagesse

par Gérald Gaudet

  1. Alejandro, avec Oracles, tu nous offres aujourd’hui un livre que nous attendions, espérions et, au fond, exigions.

    • Tu es née ailleurs, au Chili, tu as grandi au Québec. Tu as, par cette double appartenance qui te relie aux Amériques et à l’Europe, développé un point de vue sur le monde qui ne pouvait qu’être original.

    • Lors de nos premières rencontres, pendant le Festival international de la poésie puis un peu après tout au long des belles conversations que nous avons su développer dans l’amitié, tu me parlais de Nelligan, mais surtout de Saint-Denys Garneau, l’écrivain de mes admirations, dont nous venions de lire la très belle biographie de Michel Biron. Tu faisais des liens avec les écrivains russes et allemands si je me souviens bien, et tu faisais devant moi une lecture si nourrissante et si juste, si neuve, si généreuse, moi qui m’étais habitué à une tradition de lecture au Québec et qui tentais désespérément de m’y soustraire, qu’elle ne pouvait qu’être prodigieuse. Et toi, tu arrivais ici, devant moi, avec ta vision tout à fait libre, et tu m’as fait, Alejandro, désirer d’autres rencontres, d’autres conversations, pour cet air frais que tu apportais. Je voyais en toi un homme bien de chez nous, Québécois vraiment, mais avec ce regard d’à côté, venu d’ailleurs, d’un exil nécessairement, avec lequel il me devenait nécessaire de dialoguer pour la suite de ce qui vient de l’intelligence et du cœur.

  1. Oui, Alejandro, nous attendions ce livre. Nous l’exigions même. Qu’allait être un livre de toi, né de ton expérience à toi, de tes lectures, de ton histoire, de ton rapport à la langue, et à la langue française en particulier?

    • Et tu nous es arrivé avec un livre de savoir et de sagesse intitulé Oracles!

    • Par oracle, si l’on fouille dans l’histoire de la langue et des civilisations, on entend une parole qui est à la fois une prière ou une demande adressée à la divinité et la réponse même de cette divinité qui passe par un intermédiaire. L’oracle désignerait même le lieu où cette prière et cette réponse étaient proférées. C’était, le croiras-tu?, une chapelle, un sanctuaire.

    • Ton livre, Alejandro, porte bien son titre. Il est un sanctuaire. Il dit une parole en attente d’un visage, d’un nom. Il est mémoire, invitation, apprentissage, éveil, cérémonie, miracle, promesse. Il nous indique comment regarder. Il nous dit que nous, marcheurs, ne saurions trop regarder le Livre du monde si nous voulons naître à nous-mêmes. «L’épitaphe des dieux, écris-tu, est une porte grande ouverte pour les apprentis.»

    • Oracles, c’est en fait une parole en attente de joie et de liberté. Une parole qui s’adresse d’ailleurs à nous, lecteurs, que tu imagines comme des voyageurs de l’Antiquité qui venaient de loin pour consulter la Pythie.

      • Tu écris : «Tu me demandes le futur et moi je vois où tu regardes».

      • Tu écris encore : «Pose ta main sur le sable voyageur et sédentaire / Et tu verras ton visage».

      • Tu écris encore : «Un signe est venu à moi / Il avait ton nom».

      • Et tu dis : «Deviens qui tu es». Puis : «S’il fait Mille et une nuits pour apprendre à aimer / Un jour suffit au réveil.»

  1. Oracles, Alejandro, est un livre exigeant, exigeant pour nous, lecteurs, pour nous, hommes et femmes trop pressés, car il nous demande de devenir qui nous sommes. Le savons-nous seulement? Savons-nous où aller, quel chemin prendre? Ton livre pose les questions, nous invite à nous les poser nous aussi. Il fait quelques affirmations, nous incite à formuler les nôtres propres, pour nous d’abord, pour l’humanité aussi.

  2. Merci, Alejandro, de nous avoir donné un tel livre.

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Poète, Gérald Gaudet enseigne la littérature au Collège de Trois-Rivières. Directeur de la revue Estuaire jusqu’en 1993, il est également critique littéraire et anime une série d’entretiens à CFCQ-FM.

Gérald Gaudet a reçu le Prix de littérature Gérald-Godin pour La fiction de L’âme en 1996. Il est membre de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois.

 

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Aglaée attire l’attention d’un admirateur, Raymond Pelletier de Trois-Rivières.

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De sa voix intimiste, le poète confie ses états d’âme. Sa vaste culture livresque illumine ses propos.

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