TRAUMATISME DE LA SORTIE DU ROYAUME-UNI DE L’UNION EUROPÉENNE
Par MICHEL CLOUTIER, journaliste, écrivain et fondateur de QUÉBEC PRESSE
MONTRÉAL, QUÉBEC — le lundi 27 juin 2016.
Sous le choc, Londres s’angoisse pour son économie devant l’hémorragie des banquiers dont le cinquième de l’activité bancaire mondiale est réalisée à Londres. Le secteur financier de la City fournit un emploi sur trois, soit 1,25 millions de postes, signale l’Agence France-Presse. De quoi enfoncer les politiciens dans l’impasse. Le chroniqueur François Brousseau du Devoir (Montréal), signe une percutante analyse dont voici le texte:
BREXIT: LA BOMBE À FRAGMENTATION
Le vote des Britanniques en faveur d’une sortie de l’Union européenne est une véritable bombe à fragmentation. En plus de l’explosion principale, elle provoque d’ores et déjà une multitude d’explosions secondaires, qui, additionnées, pourraient amener des bouleversements de grande ampleur.
En jeu : rien de moins que l’ordre international de l’après-guerre, qui a régi, en Europe et au-delà, le monde des soixante-dix dernières années.
Le Brexit victorieux, c’est tout à la fois : un vote de protestation contre la mondialisation capitaliste ; un symbole du retour de la nation (pour le meilleur ou pour le pire), devant une construction politique qui avait pour vocation de l’envoyer aux poubelles de l’Histoire ; un retour de la politique contre « ceux d’en haut », qui savent ce qui est bon pour le peuple et se méfient comme la peste des consultations populaires.
C’est le coup de pied de l’Angleterre profonde contre Londres la hautaine capitale, jeune, cosmopolite et « friquée » à mort. C’est également, oui, une poussée xénophobe, exprimée dans la campagne de l’UKIP, le Parti de l’indépendance (c’est son nom !), qui a joué à fond sur l’hostilité à l’immigration.
Mais le vote Brexit, c’est aussi le pragmatisme concret de l’ouvrier retraité qui s’inquiète de la disponibilité et de la qualité déclinante des services publics, ou celui du restaurateur (lui-même d’une génération précédente d’immigrants), inquiet devant les deux millions de nouveaux arrivants des quinze dernières années, avec des cliniques débordées et des logements insuffisants. Traiter de « racistes » ces petites gens parce qu’ils ont voté pour le divorce est injuste, indigne et à côté de la plaque.
Exemple extrême, caricatural — et disons-le, hargneux — de ce point de vue dans la presse européenne : l’article de Bernard-Henri Lévy publié dans Le Monde du week-end (daté dimanche-lundi). Extraits :
« C’est la victoire […] du souverainisme le plus rance et du nationalisme le plus bête […], de l’Angleterre moisie sur l’Angleterre ouverte […], la victoire des casseurs et des gauchistes débiles, des fachos et hooligans avinés et embiérés, des rebelles analphabètes et des néonationalistes à sueurs froides et front de boeuf […], la victoire de l’ignorance sur le savoir […], du petit sur le grand, de la crétinerie sur l’esprit. »
Ouf ! On coifferait bien une telle envolée d’un titre comme « Salauds de pauvres ! ». Ou encore « La peste de la démocratie ».
Mais le vote de jeudi au Royaume-Uni n’est pas seulement un spectaculaire bras d’honneur des petits contre les grands. Le vote stupéfiant du 23 juin 2016 est grave. Il serait tout aussi simpliste et dangereux de n’y voir, avec des lunettes roses, qu’un geste magnifique de libération nationale et de protestation démocratique.
Les petites gens qui ont voté « Leave » pourraient figurer parmi les premiers qui paieront le prix matériel de la dure transition qui accompagnera le retrait. Le départ annoncé du Royaume-Uni ne signifie pas simplement que l’Europe à 28 va devenir l’Europe à 27. Les bonnes questions seraient plutôt : l’Europe survivra-t-elle ? Le Royaume-Uni survivra-t-il ? Plus catastrophiste encore, la question de Donald Tusk, président du Conseil européen : la civilisation occidentale survivra-t-elle ?
Des forces de toutes sortes sont libérées, galvanisées ; un colossal effet domino en est à ses premiers craquements. Des partis — plus ou moins cousins de l’UKIP — lorgnent le pouvoir, bombent le torse, expriment radicalement le ras-le-bol d’une bonne partie des citoyens devant « cette Europe-là ».
D’ores et déjà, le 23 juin est le cri de ralliement de ceux qui font aujourd’hui de l’Europe, du projet européen — qui fut une belle et noble chose, malheureusement court-circuitée — le bouc émissaire pour tout ce qui va mal.
Parmi les nationalismes qui s’expriment plus librement en Europe, il y a, oui, ceux de Marine Le Pen, de Geert Wilders (le Néerlandais), de Norbert Hofer (le « presque président » de l’Autriche). Mais il y a aussi ceux de l’Écossaise Nicola Sturgeon et du Catalan Carles Puigdemont, représentants de possibles pays en devenir, à la fois nationalistes modérés et européistes passionnés.
Ce serait beaucoup leur demander que de sauver l’Europe à eux seuls. Mais leur existence et leur capacité à influer sur le jeu laissent l’espoir qu’il peut y avoir une autre Europe que celle qui se délite sous nos yeux.
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